Portraits textiles de visionnaires queer

 

En utilisant un mélange de fibres naturelles et synthétiques, j’ai créé trois portraits textiles de visionnaires queer — des conférencier·ère·s invité·e·s de la conférence 2021 du CBRC — dont les idées ont résonné en moi.

Le portrait est une pratique qui permet à l’artiste d’immortaliser son sujet, ainsi que de transmettre ce qu’iel ressent à son égard. Le support que j’ai choisi — des boucles de fil incorporées à du tissu — résiste à la perfection. Comme une histoire transmise oralement, l’image qui émerge de ce processus complexe, itératif et attentif est unique, imprécise et aussi représentative de lo narrataire/artiste — de ses compétences, de son état d’esprit, de ses motivations et de ses intérêts — que le sujet.

Le lien avec la communauté était présent dans toutes les allocutions, et j’ai utilisé ce symbolisme afin de tisser des liens entre les différentes œuvres de cette série.

J’ai intégré les sept couleurs de l’arc-en-ciel dans chaque portrait, et ce, afin de souligner les liens entre les sujets et la communauté queer. Pour chaque individu, j’ai également inclus des symboles propres à leur communauté d’appartenance et qui font allusion aux aspects spécifiques des allocutions d’ouverture. Francisco Ibáñez-Carrasco a souligné que les récits sur la vie des hommes gais séropositifs sont principalement axés sur leur marginalisation et leur souffrance, contribuant ainsi à reléguer aux marges le rôle du plaisir et de la vitalité dans la vie de ces hommes. J’ai inclus un ruban rouge pour le militantisme contre le VIH, et un cœur rouge sur fond noir pour signifier l’affinité de Carrasco avec la culture cuir.

J’ai été profondément touché·e par Jack Saddleback, qui a invité les participant·e·s à la conférence à réfléchir au type d’ancêtres qu’iels aimeraient être. Son partage des enseignements autochtone a attisé mon désir d’en apprendre plus sur mes racines et m’a rappelé mon engagement à guérir le présent et à encourager les générations futures. J’ai placé une roue de médecine autochtone à sa gauche (près de son cœur) et à la droite du/de la spectataire (pour celleux qui lisent de gauche à droite, ce placement symbolise l’avenir), et je l’ai placé dans un cadre naturel, en tant que descendant des premiers gardiens de ces terres.

J’ai longtemps adoré le travail de Kai Cheng Thom, et j’apprécie son interprétation nuancée des conflits, du mal et de la justice au sein des communautés. Sa parabole sur les conflits communautaires, qui met en scène les divinités du Soleil et de la Lune, a servi d’inspiration pour l’arrière-plan de son portrait. Les cinq fleurs rouges symbolisent les parties fragmentées du corps de la déesse de l’amour, ainsi que la vie qui a germé à la suite de sa mort. La vigne verte représente la croissance et la guérison. Le chiffre cinq et la couleur rouge sont considérés comme des signes de bon augure dans la culture chinoise — un hommage à l’origine ethnique et culturelle de Thom.

Le processus artistique lent et méticuleux de la réalisation de ces portraits riches en symboles m’a permis d’honorer ces personnes et leurs messages avec une attention réfléchie, une chose rare dans la culture de la productivité. En tant que personne non binaire assignée femme à la naissance, j’évitais autrefois de travailler avec des textiles, car j’essayais à tort de me distancer de tout ce qui pouvait être considéré comme étant féminin. Cependant, à mesure que j’apprivoise mon identité, je suis mieux capable d’accepter mon expression dans son intégralité et de récupérer les formes d’expression que j’avais abandonnées. Je n’exile plus les parties de moi-même qui ne correspondent pas à la conception que les autres ont de moi.

 

Katrissa Singer

Katrissa Singer (iel) est un·e artiste multimédia non binaire, queer et neurodivergent·e basé·e à Tkaronto. Sous le charme du flux conscient et des possibilités tridimensionnelles de ce médium, voilà depuis 2019 que je poursuis une exploration autodidacte de la tapisserie hookée à l’aiguille de poinçonnage d’Oxford.

« Ma vision du monde est enrichie par l’écoute des voix de celleux dont le vécu diffère du mien. »